Quantcast
Channel: Mélodie en kaléidoscope
Viewing all articles
Browse latest Browse all 16

Madame Grande Feuille

$
0
0

Dans un grand pré, un arbre immense se prépare au printemps. Beaucoup de bourgeons grossissent, une seule feuille se berce dans la brise légère.

Jour après jour, des feuilles d’un vert tendre, sortent de leur prison. Elles s’étirent dans des exclamations de bien être. En chœur, elles chantent leur naissance et leur bonheur de se détendre. Elles avaient vécu recroquevillées et, maintenant, elles souffrent de courbatures et se déploient dans la liesse. Elles sont fripées et humides. Est-ce des larmes de joie ou de douleur ?… Ragaillardies par l’air doux et serein, elles se présentent tour à tour et se congratulent de leur beauté. Elles aperçoivent la grande feuille rabougrie et d’une couleur indéfinissable. Celle-ci les regarde éclater et s’épanouir, les yeux emplis de rosée. Elle est émue par le spectacle enchanteur offert par ses jeunes compagnes. Leur compagnon frémit sous les picotements de son écorce. Il régnera bientôt  dans le paysage de la prairie en cette saison pleine de promesses.

Une petite pousse avait poussé un cri « Oh ! » en voyant Madame Grande feuille et, de branches en branches, un chant d’exclamations se répend dans l’atmosphère ambiant. Une cacophonie d’où émerge une voix craintive qui ose demander :

- Qui es-tu ?

- Je suis une de vos aïeules. Vous pouvez m’appeler Grande Feuille.

- Tu n’es pas de notre taille ni verte comme nous autres ! En plus, tu es toute ridée et molle. Que t’est-il arrivé ?

- Je vis sur cet arbre depuis quatre saisons. Je suis votre messagère pour vous expliquer qu’elle sera votre vie future. Je vais vous conter ma vie. Soyez attentives. Mon passé sera votre avenir. J’ai vécu sur cet arbre quatre saisons. Comme vous, j’ai connu la tiédeur du cocon  comprimée et rabougrie arrivant à peine à respirer. J’étais impatiente de découvrir l’extérieur. J’ai assisté à l’éclosion de la frondaison. Mes amies et moi, nous étions gaies et insouciantes, toute excitées et enivrées par cet air vivifiant. Nous nous laissions bercer par le vent. Prenez garde, celui-ci est farceur. Quand il est en colère, il devient fort et souffle en rafales dangereuses. Bon nombre d’entre nous, ont subi ses crises Elles ont été arrachées de leur branche et ont chu sur l’herbe folle.. Nous craignions pour nos vies à chaque crise de mauvaise humeur. Eh oui ! Notre survie ne tient qu’à un fil. Notre hampe est fragile et les branchioles de notre maître, bien que flexibles, cassent aussi emportant leurs protégées. Vous connaîtrez cette mésaventure récurrente pendant votre séjour.

Dans un premier temps, vous grandirez et vous recouvrirez d’une fine couche de velours. Cette couverture duveteuse sera nettoyée par les pluies et les brumes. Vous deviendrez alors lisses et brillantes. Superbes et orgueilleuses, regardant avec hauteur vos bourgeons recouvrir la base de notre Seigneur et Maître, notre arbre protecteur. Là, vous êtes au printemps, la saison du renouveau de la nature aux parfums suaves et enivrants des fleurs et de l’herbe tendre.

Puis viendra l’été. Là, vous supporterez le soleil et sa chaleur. Réconfortante au début, elle vous brûlera au fur et à mesure de ses journées festives. Vos rameaux attireront des visiteurs variés qui profiteront de votre dais pour goûter à la tiédeur de votre ombre bénéfique. Des piques niques, des siestes, des jeux seront votre spectacle quotidien. Des chapardeurs, vous cueilleront pour jouer ou vous mettre dans un livre, appelé herbier, qui fera leur orgueil. Ces collectionneurs reviendront pour compléter leur récolte à la prochaine saison.Vous subirez aussi les frasques des grimpeurs qui de branches, escaladeront le tronc vers le sommet dans l’indifférence de vous piétiner, de vous écraser, de vous broyer sous leurs pas.  N’oubliez pas que votre Maître est touffu et qu’il attirera toute sorte de personnes avec plaisir. Vous êtes déjà sa gloire et sa vanité. Il règne sur la prairie. Pendant toute cette période, vous profiterez du soleil et sa chaleur étouffante le jour et de la fraîcheur de la nuit éclairée par l’astre lunaire. Souvent, vous serez bercées par une brise légère et n’oubliez pas les frasques du vent et de la pluie. Vous serez la protection des promeneurs imprudents qui se réfugieront sous votre voûte. Vous tremblerez souvent sous les orages. Rassurez-vous, votre Seigneur et Maître est robuste et il restera imperturbable assurant votre sauvegarde. Il est solide et courageux.

L’automne arrivera. Il couvrira vos toilettes d’or, d’argent et de bronze. Vous serez l’ornement le plus fastueux. Une orgie de couleurs dansante et brillante. Un délice pour les yeux des passants et l’orgueil de votre arbre vénéré. Vous serez souvent arrosées et ventilées. Vous vivrez au gré des températures qui baisseront lentement. Petit à petit, vous deviendrez marron et mûres pour céder à la rupture de votre tige. Le vent vous tournera la tête en des valses folles avant de vous entraîner sur le sol. Là, vous servirez de tapis avant que les forestiers vous rassemblent en tas et vous tuent par le feu.

Enfin, l’hiver recouvrira le  squelette de notre Seigneur et Maître de frimas. Puis, la neige le décorera de ses flocons immaculés. Le paysage sera féérique et harmonieux. Tout cela est magnifique aux yeux des hommes. Et c’est la vérité. Cette vision peu ordinaire est envoûtante et festive. Elle donnera toute sa majesté à votre arbre. En cette saison, le froid ne faillira pas. La sève de votre gardien se mettra en sommeil et préparera les bourgeons qui repousseront sur les branches au printemps. Le cycle sera enfin achevé à la naissance de la nouvelle génération des feuilles.

Oui, vous deviendrez superbes avant de vous r encorner comme moi et de vous vêtir de cette robe marron, couleur du temps et signe de départ pour les envolées de l’automne. J’ai survécu à tous ces changements climatiques et je sens, aujourd’hui, que mes forces me quittent. Je vais vous laisser profiter de vos vies galopantes selon les saisons successives. Peut être qu’une ou deux d’entre vous, auront le privilège d’apprécier ce voyage dans le temps. Elles seront les messagères pour les recrues de ce moment béni. Elles devront enseigner leur expérience aux nouvelles feuilles comme moi je viens de le faire. Adieu mes belles et bon courage.

Madame Grande Feuille se détache de sa branche. Sèche et rabougrie, le vent s’amuse avec elle. Elle virevolte, s’élève dans l’air avant de choir sur le sol…

Les bébés frémissent de compation puis s’enhardissent. De longues journées les attendent…


Viewing all articles
Browse latest Browse all 16

Trending Articles